Jacky Godoffe : L’avenir de l’escalade, entre nature, compétition et spectacle
Au cœur de la mythique forêt de Fontainebleau, un parterre de stars de l’escalade s’est réuni autour d’une légende vivante : Jacky Godoffe. Entre deux blocs, le pionnier du 8A et visionnaire du métier d’ouvreur s’est confié sur l’évolution de son sport. Une discussion passionnante sur les racines, le présent et l’avenir de l’escalade de compétition.
Imaginez la scène. La lumière filtre à travers les arbres de la forêt de Fontainebleau, le temple mondial de l’escalade de bloc. L’air sent l’humus et le grès. Assis sur le sol sablonneux, des athlètes de classe mondiale comme Brooke Raboutou ou Manu Cornu écoutent attentivement un homme qui a façonné leur discipline. Cet homme, c’est Jacky Godoffe, l’un des architectes de l’escalade moderne.
Organisée par Climbing District, cette rencontre exceptionnelle a été l’occasion d’un échange rare et précieux. Loin de la résine et des projecteurs, Godoffe a partagé sa vision unique, celle d’un homme qui a vu l’escalade passer de la pratique confidentielle au phénomène mondial. Nous y étions, et nous vous invitons à vous asseoir avec nous pour écouter le « Senseï ».
Escalade en nature : Un retour aux sources essentiel pour Jacky Godoffe
Alors que les athlètes présents se préparaient pour une compétition en salle, le Team Boulder Arena, la première question semblait évidente : pourquoi les amener ici, en pleine nature ? Pour Jacky Godoffe, la réponse est une évidence.
« L’essence de ce que j’aime dans l’escalade, c’est d’être dehors, dans la nature. D’être là, en communion avec les éléments, les odeurs, le toucher. » (PlanetGrimpe)
Pour lui, qui a passé sa vie à pratiquer l’escalade en extérieur, cette connexion est fondamentale. Pourtant, il ne juge pas la nouvelle génération de grimpeurs, née sur les murs artificiels.
Salle ou falaise : un faux débat pour l’escalade moderne ?
Avec l’explosion des salles d’escalade, de nombreux pratiquants ne mettent jamais les chaussons dehors. Est-ce un problème ? Pas pour Jacky Godoffe, qui fait preuve d’une grande ouverture d’esprit. Il reconnaît que la grimpe en extérieur demande du temps, des moyens et une proximité avec les sites que tout le monde n’a pas.
Il va même plus loin en affirmant : « Ce n’est pas plus noble de grimper dehors que de grimper dedans. » (PlanetGrimpe). Pour lui, les deux pratiques peuvent cohabiter, et même évoluer de manière indépendante. L’essentiel, que ce soit sur le grès de « Bleau » ou sur des prises en plastique, reste le même : le plaisir, l’épanouissement et le dépassement de soi.
Le métier d’ouvreur d’escalade : L’évolution d’un rôle clé
Jacky Godoffe n’est pas seulement un grimpeur d’exception, il est aussi l’un des pères du métier d’ouvreur de compétition. Un rôle qu’il a vu se transformer radicalement au fil des décennies.
Un laboratoire d’expérimentation permanent
Il a toujours vu l’ouverture comme un « laboratoire où l’on prend des risques pour essayer de faire évoluer des choses ». Cette philosophie implique d’accepter l’échec pour innover. C’est cette volonté de tester de nouvelles idées et de nouveaux formats qui permet à l’escalade de se réinventer sans cesse.
La créativité est au cœur du processus. L’évolution constante des prises et du matériel offre une palette infinie de possibilités. Pour Godoffe, l’humain et sa créativité doivent rester au centre du jeu, loin de toute standardisation, même à l’heure de l’intelligence artificielle.
La force indispensable du collectif
Si à une époque, un seul homme pouvait sembler capable de créer des défis pour tous les compétiteurs, ce temps est révolu.
« Avec l’élévation du niveau maintenant, je pense qu’il n’y a plus aucun ouvreur individuel qui pourrait challenger l’ensemble des compétiteurs à lui seul. » (PlanetGrimpe)
Aujourd’hui, le travail d’équipe est indispensable. Un bon ouvreur n’est plus seulement une « machine de grimpe ». Il doit savoir collaborer, gérer son ego pour laisser la place aux autres, et résister au stress. C’est l’alchimie des compétences et des personnalités qui permet de créer une compétition de haut niveau.
Femmes ouvreuses en escalade : Une question de compétence, pas de genre
La présence de deux femmes dans l’équipe d’ouvreurs du TBA4 a soulevé une question importante : est-il encore difficile pour elles de se faire une place ? Pour Jacky Godoffe, le débat ne devrait pas se situer sur le genre, mais sur la compétence.
Il insiste sur le fait que les femmes doivent être intégrées pour leurs qualités réelles et leur performance.
« Si on intègre des femmes à une équipe uniquement pour avoir la parité, on se trompe de combat ! Il faut mettre des filles parce qu’elles sont performantes et il faut peut-être sortir des hommes qui ne sont pas ou plus performants. » (PlanetGrimpe)
Il souligne que certaines grimpeuses possèdent des qualités et des styles où elles sont supérieures aux hommes, apportant un équilibre et une vision uniques à une équipe d’ouverture.
Compétitions d’escalade : Vers un retour de la force pure ?
Les spectateurs des compétitions récentes ont vu l’émergence de blocs très dynamiques, basés sur la coordination, parfois surnommés « parkour ». Une tendance qui, selon Jacky Godoffe, pourrait être en train de s’essouffler.
« Je pense que la coordination a passé ses heures de gloire. La majorité des ouvreurs actifs sur le circuit international me disent en avoir marre des coordinations. » (PlanetGrimpe)
Ces blocs, très complexes à régler et souvent aléatoires, laisseraient place à un retour de la force pure. Un style « old school » mais modernisé grâce aux nouvelles prises d’escalade. Ce retour est aussi rendu possible par l’arrivée d’une nouvelle génération d’ouvreurs surpuissants, capables de proposer et de tester des mouvements d’une intensité extrême.
Cependant, ne vous attendez pas à voir disparaître les mouvements spectaculaires. Les blocs dynamiques sont très appréciés du public et des non-initiés, et ils sont essentiels pour le spectacle.
L’avenir de l’escalade : Le défi de devenir un sport spectacle
L’évolution de l’escalade est intimement liée à sa capacité à captiver le public. Jacky Godoffe se souvient avec humour des débuts, où les compétitions pouvaient être « emmerdantes à mourir », comparées par des journalistes à de la « peinture qui sèche ».
Le défi est de taille : rendre l’escalade passionnante à regarder sans trahir son essence. Cela passe par l’exploration de nouveaux formats, la recherche d’un rythme plus dynamique, et une mise en scène attractive.
Le but est de créer un véritable sport spectacle capable d’intéresser le plus grand nombre. Un challenge complexe, mais essentiel pour l’avenir de la discipline au plus haut niveau.
Conclusion : Une passion en perpétuelle évolution
Cette conversation privilégiée avec Jacky Godoffe nous laisse avec une certitude : l’escalade est un sport vivant, riche de ses contradictions et de sa diversité. Loin d’opposer les pratiques, le pionnier de Fontainebleau invite à embrasser toutes les facettes de la grimpe.
Entre le respect des racines en pleine nature et la nécessité d’innover pour le spectacle, l’escalade continue d’écrire son histoire. Une histoire façonnée par des passionnés comme Jacky Godoffe, qui, en transmettant leur savoir, s’assurent que la flamme ne s’éteindra jamais.



