Escalade à Oliana : Interdiction Totale ou Simple Rumeur ? Le Point sur la Situation
La nouvelle a fait l’effet d’une bombe dans le monde de l’escalade fin 2025 : la falaise mythique d’Oliana, en Catalogne, serait interdite à la pratique. Pour de nombreux grimpeurs, c’est comme si on annonçait la fermeture du Louvre. Oliana n’est pas un simple spot, c’est un temple du très haut niveau, le théâtre de réalisations historiques comme “La Dura Dura” (9b+).
Alors, l’escalade est-elle réellement finie à Oliana ? La réponse est non, mais la situation est bien plus complexe qu’une simple interdiction. Entre un décret officiel flou, des rumeurs virales et la réalité sur le terrain, nous avons mené l’enquête pour démêler le vrai du faux.
Décret et Rumeur : Comment la Polémique sur l’Interdiction a Démarré
Tout part d’une vidéo publiée sur les réseaux sociaux par une icône de l’escalade, Patxi Usobiaga. L’ancien champion du monde espagnol, qui réside près du site, y annonce avec une grande inquiétude l’interdiction de la grimpe, brandissant un décret du gouvernement catalan daté du 18 décembre 2025.
Selon son interprétation, le texte est sans appel et instaure une interdiction stricte pour protéger un site archéologique.
« Ce sont donc 36 hectares où la pratique de l’escalade est interdite », avance Patxi. « Des amendes peuvent être infligées dès maintenant. L’escalade est interdite, le bivouac ou le camping sont interdits. Et aujourd’hui, je ne sais pas s’ils peuvent verbaliser, mais le décret est en vigueur, point final. »
L’annonce se propage comme une traînée de poudre. Reprise par des médias spécialisés comme Kairn ou Fanatic Climbing, l’information provoque une onde de choc, mêlant colère et incompréhension au sein de la communauté.
Le Décret Officiel : Protection du Patrimoine ou Maladresse Juridique ?
Le document au cœur de la polémique est bien réel. Il s’agit d’un décret du ministère de la Culture catalan visant à protéger des peintures rupestres préhistoriques situées sur la falaise.
Un Patrimoine Mondial de l’UNESCO à Préserver
Le Contrafort de Rumbau, nom officiel de la falaise d’Oliana, abrite en effet un trésor archéologique. Ces peintures font partie d’un ensemble de sites classés au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1998. La volonté de renforcer leur protection est donc légitime.
Cependant, des mesures de sanctuarisation existaient déjà, notamment via le déséquipement des voies les plus proches et l’installation d’une imposante cage métallique pour protéger ce fragile héritage.
Que Dit Vraiment le Texte ?
C’est là que l’affaire se corse. Le texte officiel est jugé ambigu et sujet à interprétation. Il délimite deux périmètres :
1. Une “zone archéologique” où “sont interdites les activités sportives d’escalade, le campement et les feux”.
2. Une “zone de protection” de 36 hectares, où les restrictions visent surtout les nouvelles constructions.
La confusion vient du fait que la “zone archéologique” semble démesurément étendue, bien au-delà des peintures, sans justification claire ni étude d’impact.
« Le document est assez mal rédigé […] Il ne présente aucune étude d’impact ni aucun fait », analyse pour Outside.fr Nicolas Durand, guide de haute montagne. « C’est libre à interprétation. C’est pour ça qu’il y a une grosse confusion entre tous les acteurs. »
La Réalité sur le Terrain : Peut-on Encore Grimper à Oliana ?
Pendant que la polémique enfle sur internet, la situation au pied de la falaise est radicalement différente. Les grimpeurs continuent de pratiquer, et les autorités locales semblent tout aussi déconcertées par la rumeur.
“Aujourd’hui, on peut grimper à Oliana”
Contrairement aux craintes, aucune amende n’a été infligée. Les agents ruraux et la police locale, contactés par les grimpeurs, ont confirmé n’avoir reçu aucune consigne visant à faire appliquer une interdiction de l’escalade.
« Aujourd’hui, on peut grimper à Oliana, on ne risque pas d’amende », rassure Nicolas Durand. « Personne n’a rien dit aux agents ruraux, et pour eux, il n’y a pas de changement. »
Un son de cloche confirmé par la grimpeuse Svana Bjarnason, très impliquée localement : « Les agents ruraux sont venus à la falaise ce week-end, ils ont dit que pour l’escalade, ça ne changeait rien. […] les policiers […] lui ont répondu qu’on pouvait grimper sans problème. »
L’Effet Dévastateur des Réseaux Sociaux
Le décalage s’explique par la viralité de l’information. La crédibilité de Patxi Usobiaga a donné un poids considérable à son interprétation alarmiste, qui a été relayée sans vérification approfondie.
« Je pense qu’il a, comme beaucoup de monde, lu le texte un peu trop rapidement et ça a mis le monde de l’escalade en effervescence », analyse Svana Bjarnason.
Un Imbroglio Juridique : Le Manque de Concertation Pointé du Doigt
Au-delà de la confusion, l’affaire met en lumière de potentielles irrégularités administratives. La décision semble avoir été prise de manière unilatérale.
Une Décision sans Consultation
Le principal reproche est l’absence totale de dialogue. Ni la fédération d’escalade, ni les grimpeurs, ni même le maire de la commune concernée (Peramola) n’ont été consultés. Le maire s’est d’ailleurs dit surpris et opposé à une interdiction.
Des Vices de Procédure ?
De plus, des doutes pèsent sur le respect des délais légaux de contestation. Ces possibles vices de procédure pourraient mener à l’annulation du décret, ce qui obligerait à reprendre le processus de manière concertée.
Quel Avenir pour les Voies Mythiques comme “Mind Control” ?
Même si l’interdiction n’est pas appliquée, le flou du texte représente une menace. Une interprétation future plus stricte pourrait impacter des voies mondialement connues. C’est le cas de “Mind Control” (9a+) ou “Los humildes pa Casa” (8b+), dont le départ se situe dans le périmètre qui pourrait être abusivement considéré comme “zone archéologique”.
« 36 hectares pour six peintures rupestres qui représentent un mètre en tout, ça n’a aucun sens », s’inquiète Svana.
Mobilisation des Grimpeurs : Vers un Dialogue pour Sauver l’Escalade à Oliana
Face à cette menace, la communauté des grimpeurs s’organise. La stratégie n’est pas la confrontation, mais le dialogue pour obtenir des clarifications. L’objectif est de sécuriser la pratique de l’escalade sur le long terme.
« L’objectif, c’est qu’on ait des éclaircissements sur ce que veut dire ce texte réellement », résume Nicolas Durand. « On va tout faire pour écarter ce danger, qui est quand même existant. »
Une contestation légale du décret est en préparation, menée par les acteurs locaux. L’idée est de prouver que la cohabitation entre l’escalade et la préservation du patrimoine est non seulement possible, mais déjà une réalité.
En conclusion, non, l’escalade n’est pas interdite à Oliana aujourd’hui. L’affaire relève davantage d’un imbroglio juridique et d’une communication maladroite que d’une volonté délibérée de nuire à la pratique. La menace reste cependant présente tant que le décret ne sera pas clarifié ou amendé. Cette crise a néanmoins eu pour effet de souder la communauté, prête à défendre l’un de ses plus beaux sanctuaires. L’avenir d’Oliana se joue maintenant.



