Chris Sharma à Montrebei : Au Cœur de la Controverse Éthique
C’est une histoire qui mêle engagement, philosophie et éthique, comme seule l’escalade sait en produire. Quatorze ans après avoir ouvert une ligne d’ampleur sur la Pared de Aragón, dans les gorges de Montrebei en Espagne, Chris Sharma est revenu terminer son projet. Mais stupeur : sa voie, « Total Hardcore », avait été entièrement déséquipée anonymement suite à une controverse sur l’éthique d’équipement. Aujourd’hui, Sharma l’a rééquipée depuis le bas, dans le respect des traditions locales, avec une volonté claire : apaiser les tensions et réunir la communauté des grimpeurs.
L’Origine de la Controverse : Une Histoire d’Équipement
Pour comprendre cette affaire, il faut remonter à la fin des années 2000. À cette époque, Chris Sharma, alors au sommet de sa carrière, découvre une ligne spectaculaire dans les gorges de Montrebei, un temple de l’escalade traditionnelle à la frontière entre la Catalogne et l’Aragon.
Fidèle à son style, il équipe la voie depuis le bas, mais en utilisant des spits amovibles. Cette technique, bien que répandue pour l’ouverture de grandes voies déversantes, est peu commune dans les parois historiques où l’engagement et le risque sont des composantes essentielles de l’ascension.
Ce détail technique a suffi à enflammer le débat. Pour certains grimpeurs locaux, l’usage de spits amovibles dénaturait l’aventure propre à Montrebei. Le projet est resté en suspens pendant plusieurs années. En 2024, lorsque Sharma décide de revenir, il découvre que la voie a été intégralement déséquipée. Les six longueurs avaient disparu, sans un mot de l’auteur anonyme de ce geste.
Si une partie de la communauté d’escalade approuvait le fond du déséquipement, la forme a été unanimement condamnée. Agir dans l’ombre, sans dialogue ni restitution du matériel, allait à l’encontre des valeurs que les défenseurs de l’éthique locale prétendaient protéger.
Du Conflit au Dialogue : La Charte Éthique de Montrebei
Plutôt que d’alimenter la polémique, Sharma a choisi la voie du dialogue. Il a rencontré les ouvreurs et grimpeurs locaux pour comprendre leurs points de vue. Cette démarche a abouti à l’élaboration d’un document collectif, une charte éthique pour Montrebei, posant les bases d’un consensus.
Ce n’était pas mon intention d’entrer en conflit. Je sais que c’est un sujet délicat ici, mais je voulais montrer que j’étais prêt à rectifier et à respecter ce qui avait été décidé ensemble.
Ce document énonce plusieurs principes fondateurs pour l’escalade à Montrebei :
- L’usage des spits amovibles est considéré comme une forme d’équipement par le haut, contraire à l’esprit d’aventure local.
- Perforer le rocher pour placer des crochets dans des voies existantes n’est pas autorisé.
- Chaque ligne dispose de son propre “espace” à ne pas empiéter.
- Les prises artificielles sont proscrites.
- Le déséquipement anonyme est à proscrire : seul le dialogue peut résoudre les différends.
Cette charte pourrait servir de modèle pour d’autres sites confrontés à des conflits d’éthique similaires en escalade.
Le Rééquipement de « Total Hardcore »
Fort de cet accord, Sharma est retourné à Montrebei à la fin de l’été 2025 pour réouvrir sa voie dans le style convenu : depuis le bas, sans spits amovibles, en perçant les points au fur et à mesure de son ascension. Une expérience intense, qu’il décrit comme « un véritable apprentissage ».
Il y a eu des moments où je devais tenir une prise d’une main et percer de l’autre. C’était épuisant, mais aussi formateur. Cette expérience m’a rappelé les valeurs de l’ouverture : la patience, le respect et la persévérance.
« Total Hardcore » : L’une des Grandes Voies les Plus Dures d’Europe
Le résultat est une voie de six longueurs d’une difficulté extrême. La première section est cotée autour de 9a+, avec un pas de bloc évalué à 8B+. Les longueurs suivantes oscillent entre 8b+ et 8c+, faisant de « Total Hardcore » l’une des grandes voies les plus dures d’Europe.
Sharma, qui a passé près de sept jours sur la paroi pour finaliser l’équipement, se consacre maintenant à l’enchaînement intégral de la voie.
Au-delà de la performance sportive, l’alpiniste américain insiste sur la valeur symbolique de cette démarche :
Je voulais montrer que nous pouvions trouver un terrain d’entente. Nous avons tous des visions différentes de l’escalade, mais ce qui nous unit est bien plus fort que ce qui nous divise.
Un message puissant, à une époque où les débats sur l’éthique en escalade restent vifs. Pour en savoir plus sur cette histoire, vous pouvez consulter les articles de Planet Grimpe, Gripped Magazine, et Whipper Media.
