Tim Emmett et Era Vella (9a) : L’Incroyable Récit de 8 Ans de Persévérance en Escalade

On a tous vu passer cette vidéo. Celle d’un homme de 51 ans, le visage tremblant, les yeux humides, incapable de finir une phrase tant l’émotion l’emporte. Pas une première ascension, pas un nouveau niveau, pas un exploit médiatique. Simplement un grimpeur qui vient de réaliser ce qui fut, pendant huit longues années, le plus grand défi de sa vie : l’ascension de la voie d’escalade Era Vella (9a).

Ce grimpeur, c’est Tim Emmett, une figure bien connue du monde de l’alpinisme et de la cascade de glace. Mais cette fois, c’est dans la célèbre voie « Era Vella », à Margalef en Espagne, qu’il a repoussé ses propres limites. Son histoire est un témoignage poignant de persévérance, de sacrifice et de la puissance du mental face à un objectif qui semble hors de portée. Un récit qui a ému bien au-delà de la performance pure.

Era Vella : Le Défi 9a Suggéré par la Légende Chris Sharma

Tout commence en 2017. Lors d’un festival, Tim engage la conversation avec la légende vivante de l’escalade, Chris Sharma. Il lui demande une recommandation : quel serait, selon lui, un « bon 9a long et déversant, sur trous » ? La réponse de Sharma est instantanée : « Era Vella ». Une voie que le King a lui-même équipée et qu’il considère comme « la plus belle de Margalef ».

Pour Tim, qui n’a alors jamais tenté un 9a et dont le niveau maximal est 8c+, la suggestion est un véritable défi. Piqué par la curiosité, il se rend en Espagne. Le choc est immédiat. Face à la paroi, une seule pensée lui traverse l’esprit : « C’est impossible, je n’y arriverai jamais ».

Pourtant, quelque chose s’est enclenché. Quatre mois d’entraînement intensif plus tard, il retourne à Margalef. Il parvient à monter d’un seul mouvement plus haut. Une progression infime, mais pour Tim, c’était le signal qu’il attendait pour s’engager corps et âme dans un tunnel qui allait durer huit ans.

Anatomie d’un Combat : 130 Jours sur la Voie

« Era Vella » n’est pas une voie ordinaire. C’est une ligne magnifique et intimidante de 45 mètres qui met à l’épreuve l’endurance et la technique. Elle se décompose en quatre sections :

1. Un début accessible en 6c/7a.
2. Un repos total, le calme avant la tempête.
3. Une séquence explosive de 22 mouvements cotée autour de 8c/+.
4. Une dernière section interminable de 45 mouvements soutenus en 8b+/8c jusqu’au relais.

Pour venir à bout de ce monstre, Tim effectuera huit voyages à Margalef, cumulant environ 130 jours passés directement sur la voie. Comme le rapporte le magazine La Crux, c’est au bout de sa 130ème session qu’il a finalement réussi. Mais ces journées ne sont que la partie visible de l’iceberg. En coulisses, ce sont près de 1000 jours de préparation, d’entraînement et d’obsession.

La progression était lente. Il y avait des périodes où il ne gagnait qu’un seul mouvement tous les six mois. Le pire moment ? Probablement cette tentative où, si près du but, un pied a cassé sous lui, anéantissant ses espoirs.

Le Prix de l’Obsession : Sacrifices et Entraînement pour un 9a

Peu de projets dans l’histoire de l’escalade ont exigé un tel niveau de renoncement. Pour se donner toutes les chances, Tim a reconfiguré sa vie autour de cet unique objectif.

Pendant huit ans, son entraînement pour un 9a a été total :

• Entraînement physique : Il a construit un pan d’escalade maison reproduisant les prises et les séquences exactes de la voie.
• Préparation mentale : Il a travaillé avec des coachs pour développer sa résilience, intégrant de longues séances de méditation.
• Régime alimentaire : Il a suivi un régime strict sans gluten, sans produits laitiers et sans viande rouge.
• Hygiène de vie : Il a totalement arrêté de boire de l’alcool pendant près de trois ans.

Comme il le dit lui-même, pour réussir, il fallait mettre tous les curseurs sur 10. Pendant ce temps, sa famille l’attendait. Son fils, qui avait quatre ans au début de l’aventure, en a aujourd’hui douze. À chaque appel vidéo, la même question revenait : « Papa, tu l’as faite ? Tu peux rentrer ? ». La pression et la culpabilité étaient immenses.

Au Bord de la Rupture, avec Sharma à l’Assurage

Un jour, l’histoire prend une tournure cinématographique. Chris Sharma, celui par qui tout a commencé, vient en personne à la falaise pour l’assurer. Le moment est symbolique.

Tim s’élance, mais alors qu’il atteint le crux, sa corde se coince, le faisant chuter. Lors de son deuxième essai, il grimpe encore plus haut, mais la fatigue et la tension ont raison de lui. Il tombe à nouveau. À l’approche de l’avant-dernier jour, les conditions se détériorent et la pression est à son comble. Tim craque. « Je me suis effondré sur le lit et j’ai pleuré pendant vingt minutes », confiera-t-il.

16 Novembre 2025 : La Libération

Puis arrive le 16 novembre 2025. Après huit ans de luttes, Tim se présente au pied de la falaise avec un calme irréel. Pour la première fois, il est détaché du résultat. Au bout de 45 mètres d’une lutte acharnée, il clippe enfin la chaîne. La libération est là.

En redescendant, l’émotion le submerge. Il fond en larmes, silencieusement, complètement vidé. Pas de cris, pas de célébration. Juste un homme bouleversé par huit ans de doute, de sacrifices et de persévérance. Le site Climbing.com a parfaitement capturé ce moment unique.

Cette vidéo, partagée des milliers de fois, a touché bien au-delà de la communauté de l’escalade. Elle raconte le courage de continuer quand tout semble perdu et la beauté de s’accrocher à un rêve.

Une Leçon Universelle : « Un Gagnant est Juste un Perdant qui a Essayé Encore une Fois »

Pour tous ceux qui se battent avec un projet qui leur paraît trop long ou trop dur, Tim partage un message puissant :

Change quelque chose. Ton entraînement, ton mental, ta méthode… Si tu veux vraiment réussir, mets tous les curseurs au maximum. Un gagnant, c’est un perdant qui a essayé une fois de plus.

Aujourd’hui, Tim n’a pas prévu de se relancer dans un projet d’une telle envergure. « Era Vella » restera le combat de sa vie. Une véritable épopée qui nous rappelle que dans les sports outdoor comme dans la vie, la plus grande des victoires est parfois simplement celle de ne jamais avoir abandonné.