Home Alpinisme Première ascension du K2 : Le récit de l’exploit et de la...

Première ascension du K2 : Le récit de l’exploit et de la controverse de 1954

0

Le 31 juillet 1954, Lino Lacedelli et Achille Compagnoni devenaient les premiers hommes à atteindre le sommet du K2. Un exploit historique pour l’Italie et l’alpinisme mondial. Pourtant, derrière cette victoire se cache une histoire de trahison et un mensonge qui a duré 50 ans. Soixante-dix ans après, retour sur la première ascension du K2, un récit où l’héroïsme côtoie les parts les plus sombres de la nature humaine.

K2, la « Montagne Sauvage » : Un défi bien plus grand que l’Everest ?

Avant de plonger dans le récit de sa conquête, il est essentiel de comprendre ce que représente le K2. Culminant à 8 611 mètres, il est le deuxième plus haut sommet du monde. Mais pour les alpinistes, il est considéré comme le défi ultime. Situé au cœur du massif du Karakoram, sa pyramide presque parfaite présente une difficulté technique et des dangers bien supérieurs à ceux de l’Everest.

Ses pentes vertigineuses, sa météo imprévisible et le risque constant d’avalanches lui ont valu le surnom de « montagne sauvage ». C’est un sommet qui ne tolère aucune erreur, un véritable test de l’endurance et de l’engagement.

Les premières tentatives d’ascension : un lourd tribut

Avant le succès de 1954, le K2 avait déjà repoussé de nombreuses expéditions. Dès 1909, une expédition italienne menée par le Duc des Abruzzes a ouvert la voie qui porte aujourd’hui son nom, l’Éperon des Abruzzes, sans parvenir au sommet.

Les Américains ont ensuite relevé le défi. L’expédition de 1953, dirigée par Charles Houston, a viré au drame. Pris dans une tempête à près de 8 000 mètres, l’équipe a été bloquée pendant dix jours. Lors de la descente, un geste héroïque de Pete Schoening, qui a enrayé une chute collective de six de ses compagnons avec son seul piolet, a sauvé cinq vies. Cet événement, connu sous le nom de « The Belay », a forgé la réputation terrifiante du K2.

L’expédition italienne de 1954 : une question de fierté nationale

Pour une Italie en pleine reconstruction après la Seconde Guerre mondiale, la conquête d’un « 8000 » était un enjeu de prestige national. Le K2 est devenu l’objectif principal. Le projet fut confié à Ardito Desio, un géologue autoritaire qui organisa une expédition aux moyens colossaux, à la discipline quasi militaire.

L’équipe rassemblait les meilleurs alpinistes italiens de l’époque. Parmi eux, Achille Compagnoni et Lino Lacedelli, choisis pour l’assaut final. Et le jeune Walter Bonatti, 24 ans, déjà une légende de l’escalade, dont le rôle allait devenir central dans l’histoire.

Une progression éprouvante sur l’Éperon des Abruzzes

L’équipe s’est engagée sur la voie de l’Éperon des Abruzzes. La progression fut un combat incessant contre le froid, le vent et le manque d’oxygène. Les alpinistes ont dû équiper des kilomètres de cordes fixes et transporter des charges écrasantes pour établir les camps d’altitude successifs.

Sous la direction stricte de Desio, qui commandait depuis le camp de base, la tension était palpable. L’épuisement physique et psychologique a mis l’équipe à rude épreuve, transformant chaque mètre gagné en une victoire arrachée à la montagne.

La nuit du 30 juillet 1954 : le bivouac forcé de Bonatti et Mahdi

La stratégie pour le sommet était fixée : Compagnoni et Lacedelli devaient passer la nuit au camp IX, le dernier avant le sommet, et utiliser des bouteilles d’oxygène pour l’ascension finale. La mission de Walter Bonatti et du porteur Hunza Amir Mahdi était vitale : leur monter ces fameux appareils à oxygène.

Au terme d’un effort surhumain, Bonatti et Mahdi atteignent en fin de journée le point convenu, à plus de 8 000 mètres. Mais le camp IX n’y est pas. Ils aperçoivent une lumière bien plus haut. Compagnoni et Lacedelli avaient délibérément déplacé la tente, un acte qui alimentera la controverse pendant des décennies.

Pris par la nuit, sans équipement adéquat, il leur était impossible de redescendre. Ils ont dû prendre une décision désespérée : bivouaquer en plein air à 8 100 mètres, dans la « zone de la mort ». Ils ont creusé un trou dans la neige pour survivre à une nuit glaciale, un exploit de survie presque sans précédent.

Le sommet du K2 et le début d’une controverse de 50 ans

Le matin du 31 juillet, Bonatti et Mahdi, transis de froid mais vivants, ont laissé les bouteilles d’oxygène et ont entamé une descente périlleuse. Amir Mahdi perdra tous ses doigts et orteils à cause des gelures. Pendant ce temps, Compagnoni et Lacedelli ont récupéré l’oxygène et ont atteint le sommet. La première ascension du K2 était réussie.

De retour en Italie, la version officielle orchestrée par Ardito Desio a transformé ce triomphe en tragédie personnelle pour Bonatti. Il fut accusé à tort d’avoir voulu doubler ses coéquipiers et d’avoir utilisé une partie de l’oxygène, les forçant à atteindre le sommet sans assistance (ce qui était faux). Cette calomnie visait à magnifier l’exploit des deux vainqueurs.

Pour Walter Bonatti, ce fut le début d’une longue et douloureuse bataille pour son honneur. Marginalisé, il a passé sa vie à se battre pour que la vérité soit reconnue. Comme le rappelle un article d’Alpine Mag sur la controverse, cette affaire reste l’une des plus sombres de l’histoire de l’himalayisme.

Rétablissement de la vérité : la réhabilitation de Walter Bonatti

Il a fallu attendre 2004, cinquante ans plus tard, pour que la vérité éclate. Les aveux de Lino Lacedelli dans son livre « K2. Il prezzo della conquista » (Le prix de la conquête) et de nouvelles analyses ont finalement confirmé la version de Bonatti. Le Club Alpin Italien a alors officiellement réhabilité l’alpiniste, reconnaissant son rôle crucial dans le succès de 1954 et l’injustice qu’il a subie.

L’histoire de la première ascension du K2 est donc bien plus qu’un exploit sportif. C’est une puissante leçon sur la nature humaine, où le courage et la résilience se heurtent à l’ambition, la jalousie et le mensonge.

Héritage de 1954 : Pourquoi le K2 fascine-t-il toujours autant ?

Soixante-dix ans plus tard, l’aura du K2 est intacte. Il demeure le « Graal » pour les alpinistes du monde entier. Chaque nouvelle ascension est un événement, et la montagne continue de se montrer redoutable. L’expédition de 1954 a ouvert la voie, mais elle a aussi laissé une cicatrice profonde dans l’histoire de l’alpinisme.

Elle nous rappelle que la conquête des sommets est avant tout une aventure humaine, avec ses moments de gloire et ses parts d’ombre. Le K2, la « montagne des montagnes », fut le théâtre de l’un des plus grands exploits de l’alpinisme, mais aussi de l’un de ses plus tristes drames.

NO COMMENTS

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here

Quitter la version mobile