Simon Lorenzi à Fontainebleau : Triche ou Génie ? Le Débat sur l’Éthique en Escalade
L’escalade a toujours été perçue comme un sport de pureté : le grimpeur, seul face au rocher, avec pour uniques alliés ses chaussons et sa magnésie. Mais aujourd’hui, le matériel d’escalade s’est perfectionné, et avec lui, de nouvelles questions éthiques émergent. Ventilateurs pour sécher les prises, genouillères ultra-performantes, équipement personnalisé… Où se situe la frontière entre l’optimisation de la performance et la triche ?
Au cœur de ce débat passionnant se trouve le grimpeur belge Simon Lorenzi. Son approche, notamment lors de sa première ascension du bloc mythique “Soudain Seul” (9A) à Fontainebleau, nous oblige à repenser la définition de “grimper avec ses propres moyens”. Loin d’être un simple débat matériel, c’est une véritable réflexion philosophique sur l’âme de l’escalade de bloc qui s’engage. L’ingéniosité de Lorenzi est-elle une entorse à l’éthique ou l’expression ultime du génie en escalade ?
La Controverse des Aides Extérieures : Le Vent de la Discorde
Ces derniers temps, une polémique a secoué le monde de la grimpe : l’utilisation de ventilateurs pour améliorer les conditions d’adhérence sur le rocher. Des grimpeurs de renommée mondiale, comme Adam Ondra, ont ouvertement questionné cette pratique, tandis que d’autres, à l’image de Camille Coudert, ont défendu son usage. Le débat sur l’éthique en escalade est vif et loin d’être clos.
L’argument principal contre le ventilateur est qu’il s’agit d’une aide extérieure, un deus ex machina qui modifie artificiellement l’environnement. Il ne requiert aucune compétence particulière de la part du grimpeur. L’impossible devient possible non pas grâce au talent de l’athlète, mais par l’intervention d’un objet. Cette vision heurte une certaine éthique de la “pureté” du geste, où le grimpeur doit s’adapter aux conditions naturelles, et non l’inverse.
C’est dans ce contexte que l’approche de Simon Lorenzi prend tout son sens. Car si lui aussi a “augmenté” sa performance, il l’a fait d’une manière radicalement différente.
“Soudain Seul” : Le Laboratoire de l’Ingéniosité à Fontainebleau
Pour comprendre le génie de Lorenzi, il faut revenir sur son ascension de “Soudain Seul”. Initialement proposé à 9A, un niveau stratosphérique en escalade de bloc, ce projet de Fontainebleau représentait un défi physique et mental immense. Face à des mouvements qui semblaient morphologiquement impossibles pour lui, Lorenzi a analysé, réfléchi et… bricolé.
Comme il l’explique dans une interview revenant sur son exploit, il a dû inventer ses propres outils pour réussir :
- Une contrepointe personnalisée : Il a ajouté une seconde pièce de gomme sur son chausson gauche pour sécuriser une prise de pointe cruciale.
- Un talon renforcé : De la gomme a été ajoutée sur la bande de tension de son talon pour optimiser un crochetage.
- Le fameux livre sous la genouillère : Pour un coincement de genou particulièrement douloureux et instable, il a glissé un petit livre sous sa genouillère, créant le volume et la rigidité nécessaires pour tenir le mouvement.
Ces ajustements, loin d’être de simples gadgets, sont une réponse directe, intelligente et personnelle à un problème spécifique posé par le rocher.
L’Escalade à la Manière d’Ulysse : La Ruse comme Vertu
C’est ici que la comparaison entre le ventilateur et les bricolages de Lorenzi devient éclairante. Utiliser un ventilateur est une solution impersonnelle. L’ingéniosité de Simon Lorenzi, elle, relève d’une qualité toute personnelle : la ruse (la mètis grecque).
Dans la mythologie, Ulysse ne triomphe pas par sa force brute, mais par son intelligence pratique. Il invente des solutions uniques et adaptées à chaque situation. En ce sens, Simon Lorenzi est un Ulysse des temps modernes face au “cyclope” de Fontainebleau. Ses inventions ne sont pas des aides extérieures “tombées du ciel” ; elles sont le fruit de sa propre créativité et de sa compréhension intime du problème. Son geste est admirable non seulement parce qu’il est fort, mais parce qu’il est intelligent.
Cette approche s’est d’ailleurs confirmée sur d’autres projets majeurs, comme lors de sa réalisation de “Big Conviction” (8C+), où sa capacité à décortiquer et à résoudre des séquences complexes a une nouvelle fois fait merveille.
Éthique de l’Escalade : Redéfinir les Règles du Jeu
Le cas Lorenzi nous invite à affiner notre définition de l’éthique en escalade. La question n’est peut-être pas “faut-il utiliser des aides ?”, mais plutôt “quelle est la nature de cette aide ?”.
- L’aide impersonnelle : Le ventilateur. Il est externe au grimpeur et modifie l’environnement pour tous.
- L’aide personnelle : Les solutions de Lorenzi. Elles sont une extension de son corps et de son esprit, nées de son effort de réflexion.
L’éthique de l’escalade n’est pas figée. Ce qui était considéré comme de la triche hier (usage de la magnésie, brossage, genouillères) est aujourd’hui standard. L’ingéniosité de grimpeurs comme Simon Lorenzi ne vient pas pervertir le sport, elle le fait évoluer. Elle nous rappelle que l’escalade n’est pas qu’une affaire de muscles, mais aussi de cerveau.
Conclusion : Célébrer l’Ingéniosité dans la Performance
Loin de la controverse stérile sur la triche, l’approche de Simon Lorenzi à Fontainebleau est une célébration de l’esprit de l’escalade. Elle met en lumière l’importance de la créativité et de l’intelligence pratique pour repousser les limites de la performance sportive.
Ses solutions, bien que non conventionnelles, ne sont pas une entorse à l’éthique. Au contraire, elles incarnent une forme de pureté : celle d’un athlète qui engage tout son être pour résoudre l’énigme posée par le rocher. Le geste de Lorenzi est admirable car il témoigne de ses qualités personnelles les plus profondes.
Finalement, cette histoire nous pose une question essentielle : ne serait-ce pas cela, la véritable performance ? Non pas seulement vaincre la difficulté, mais le faire avec intelligence et panache.
Et vous, où placez-vous la limite entre l’astuce et la triche en escalade ?
